La Saint-Barthélemy
I
Les prêtres avaient dit : « En ce temps-là, mes frères,
On a vu s’élever des docteurs téméraires,
Des dogmes de la foi censeurs audacieux :
Au fond du Saint des saints l’Arche s’est refermée,
Et le puits de l’abîme a vomi la fumée
Qui devait obscurcir la lumière des cieux.
L’Antéchrist est venu, qui parcourut la terre :
Tout à coup, soulevant un terrible mystère,
L’impie a remué de profanes débats ;
Il a dressé la tête : et des voix hérétiques
Ont outragé la Bible, et chanté les cantiques
Dans le langage impur qui se parle ici-bas.
Mais si le ciel permet que l’Église affligée
Gémisse pour un temps, et ne soit point vengée ;
S’il lui plaît de l’abattre et de l’humilier :
Si sa juste colère, un moment assoupie.
Dans sa gloire d’un jour laisse dormir l’impie,
Et livre ses élus au bras séculier ;
Quand les temps sont venus, le fort qui se relève
Soudain de la main droite a ressaisi le glaive :
Sur les débris épars qui gisaient sans honneur
Il rebâtit le Temple, et ses armes bénites
Abattent sous leurs coups les vils Madianites,
Comme fait les épis la faux du moissonneur.
Allez donc, secondant de pieuses vengeances,
Pour vous et vos parents gagner les indulgences ;
Fidèles, qui savez croire sans examen,
Noble race d’élus que le ciel a choisie,
Allez, et dans le sang étouffez l’hérésie !
Ou la messe, ou la mort !» — Le peuple dit : Amen.
II
A l’hôtel de Soissons, dans une tour mystique,
Catherine interroge avec des yeux émus
Des signes qu’imprima l’anneau cabalistique
Du grand Michel Nostradamus.
Elle a devant l’autel déposé sa couronne ;
A l’image de sa patronne,
En s’agenouillant pour prier.
Elle a dévotement promis une neuvaine,
Et tout haut, par trois fois, conjuré la verveine
Et la branche du coudrier.
« Les astres ont parlé : qui sait entendre, entende !
Ils ont nommé ce vieux Gaspard de Châtillon :
Ils veulent qu’en un jour ma vengeance s’étende
De l’Artois jusqu’au Roussillon.
Les pieux défenseurs de la foi chancelante
D’une guerre déjà trop lente
Ont assez couru les hasards :
A la cause du ciel unissons mon outrage.
Périssent, engloutis dans un même naufrage.
Les huguenots et les guisards ! »
III
C’était un samedi du mois d’août : c’était l’heure
Où l’on entend de loin, comme une voix qui pleure,
De l’angélus du soir les accents retentir :
Et le jour qui devait terminer la semaine
Était le jour voué, par l’Église romaine.
A saint Barthélémy, confesseur et martyr.
Quelle subite inquiétude
A cette heure ? quels nouveaux cris
Viennent troubler la solitude
Et le repos du vieux Paris ?
Pourquoi tous ces apprêts funèbres,
Pourquoi voit-on dans les ténèbres
Ces archers et ces lansquenets ?
Pourquoi ces pierres entassées,
Et ces chaînes de fer placées
Dans le quartier des Bourdonnais ?
On ne sait. Mais enfin, quelque chose d’étrange
Dans l’ombre de la nuit se prépare et s’arrange.
Les prévôts des marchands, Marcel et Jean Charron.
D’un projet ignoré mystérieux complices.
Ont à l’Hôtel-de-Ville assemblé les milices,
Qu’ils doivent haranguer debout sur le perron.
La ville, dit-on, est cernée
De soldats, les mousquets chargés ;
Et l’on a vu, l’après-dînée.
Arriver les chevau-légers :
Dans leurs mains le fer étincelle ;
Ils attendent le boute-selle.
Prêts au premier commandement ;
Et des cinq cantons catholiques,
Sur l’Évangile et les reliques,
Les Suisses ont prêté serment.
Auprès de chaque pont des troupes sont postées :
Sur la rive du nord les barques transportées ;
Par ordre de la cour, quittant leurs garnisons,
Des bandes de soldats dans Paris accourues
Passent, la hallebarde au bras, et dans les rues
Des gens ont été vus qui marquaient des maisons.
On vit, quand la nuit fut venue,
Des hommes portant sur le dos
Des choses de forme inconnue
Et de mystérieux fardeaux.
Et les passants se regardèrent :
Aucuns furent qui demandèrent :
— Où portes-tu, par l’ostensoir !
Ces fardeaux persans, je te prie ?
— Au Louvre, votre seigneurie.
Pour le bal qu’on donne ce soir.
IV
Il est temps ; tout est prêt : les gardes sont placés.
De l’hôtel Châtillon les portes sont forcées ;
Saint-Germain-l’Auxerrois a sonné le tocsin :
Maudit de Rome, effroi du parti royaliste,
C’est le grand-amiral Coligni que la liste
Désigne le premier au poignard assassin.
— « Est-ce Coligni qu’on te nomme ? »
— « Tu l’as dit. Mais, en vérité,
Tu devrais respecter, jeune homme.
Mon âge et mon infirmité.
Va, mérite ta récompense ;
Mais, tu pouvais bien, que je pense,
T’épargner un pareil forfait
Pour le peu de jours qui m’attendent ! »
Ils hésitaient, quand ils entendent
Guise leur criant : « Est-ce fait ? »
Ils l’ont tué ! la tête est pour Rome. On espère
Que ce sera présent agréable au saint père.
Son cadavre est jeté par-dessus le balcon :
Catherine aux corbeaux l’a promis pour curée.
Et rira voir demain, de ses fils entourée,
Au gibet qu’elle a fait dresser à Montfaucon.
Messieurs de Nevers et de Guise,
Messieurs de Tavanne et de Retz,
Que le fer des poignards s’aiguise,
Que vos gentilshommes soient prêts.
Monsieur le duc d’Anjou, d’Entrague,
Bâtard d’Angoulême, Birague,
Faites armer tous vos valets !
Courez où le ciel vous ordonne,
Car voici le signal que donne
La Tour-de-l’horloge au Palais.
Par l’espoir du butin ces hordes animées.
Agitant à la main des torches allumées,
Au lugubre signal se hâtent d’accourir :
Ils vont. Ceux qui voudraient, d’une main impuissante,
Écarter des poignards la pointe menaçante.
Tombent ; ceux qui dormaient s’éveillent pour mourir.
Troupes au massacre aguerries,
Bedeaux, sacristains et curés,
Moines de toutes confréries.
Capucins, Carmes, Prémontrés,
Excitant la fureur civile,
En tout sens parcourent la ville
Armés d’un glaive et d’un missel.
Et vont plaçant des sentinelles
Du Louvre au palais des Tournelles
De Saint-Lazare à Saint-Marcel.
Parmi les tourbillons d’une épaisse fumée
Que répand en flots noirs la résine enflammée,
A la rouge clarté du feu des pistolets,
On voit courir des gens à sinistre visage,
Et comme des oiseaux de funeste présage,
Les clercs du Parlement et des deux Châtelets.
Invoquant les saints et les saintes,
Animés par les quarteniers,
Ils jettent les femmes enceintes
Par-dessus le Pont-aux-Meuniers.
Dans les cours, devant les portiques.
Maîtres, écuyers, domestiques.
Tous sont égorgés sans merci :
Heureux qui peut dans ce carnage,
Traversant la Seine à la nage.
Trouver la porte de Bussi !
C’est par là que, trompant leur fureur meurtrière,
Avertis à propos, le vidame Perrière,
De Fontenay, Caumont, et de Montgomery,
Pressés qu’ils sont de fuir, sans casque, sans cuirasse.
Échappent aux soldats qui courent sur leur trace
Jusque sous les remparts de Montfort-l’Amaury.
Et toi, dont la crédule enfance,
Jeune Henri le Navarrois.
S’endormit, faible et sans défense,
Sur la foi que donnaient les rois ;
L’espérance te soit rendue :
Une clémence inattendue
A pour toi suspendu l’arrêt ;
Vis pour remplir ta destinée,
Car ton heure n’est pas sonnée,
Et ton assassin n’est pas prêt !
Partout des toits rompus et des portes brisées,
Des cadavres sanglants jetés par les croisées,
A des corps mutilés des femmes insultant ;
De bourgeois, d’écoliers, des troupes meurtrières.
Des blasphèmes, des pleurs, des cris et des prières.
Et des hommes hideux qui s’en allaient chantant :
« Valois et Lorraine
Et la double croix !
L’hérétique apprenne
Le pape et ses droits !
Tombant sous le glaive.
Que l’impie élève
Un bras impuissant ;
Archers de Lausanne,
Que la pertuisane
S’abreuve de sang !
Croyez-en l’oracle
Des corbeaux passants,
Et le grand miracle
Des Saints-Innocents.
A nos cris de guerre
On a vu naguère,
Malgré les chaleurs,
Surgir une branche
D’aubépine franche
Couverte de fleurs !
Honni qui pardonne !
Allez sans effroi,
C’est Dieu qui l’ordonne,
C’est Dieu, c’est le roi !
Le crime s’expie ;
Plongez à l’impie
Le fer au côté
Jusqu’à la poignée ;
Saignez ! la saignée
Est bonne en été ! »
V
Aux fenêtres du Louvre, on voyait le roi. « Tue,
Par la mort Dieu ! que l’hydre enfin soit abattue !
Qu’est-ce ? Ils veulent gagner le faubourg Saint-Germain ?
J’y mets empêchement : et, si je ne m’abuse,
Ce coup est bien au droit. — George, une autre arquebuse,
Et tenez toujours prête une mèche à la main.
Allons, tout va bien : Tue ! — Ah. Cadet de Lorraine,
Allez-vous-en quérir les filles de la reine.
Voici Dupont, que vient d’abattre un Écossais :
Vous savez son affaire ? Aussi bien, par la messe,
Le cas était douteux, et je vous fais promesse
Qu’elles auront plaisir à juger le procès.
Je sais comment la meute en plaine est gouvernée ;
Comment il faut chasser, en quel temps de l’année.
Aux perdrix, aux faisans, aux geais, aux étourneaux ;
Comment on doit forcer la fauve en son repaire ;
Mais je n’ai point songé, par l’âme de mon père,
A mettre en mon traité la chasse aux huguenots ! »
Félix Arvers, Mes heures perdues, 1833 (sobre o Massacre da Noite de São Bartolomeu, neste dia, em 1572)
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