Malheureusement, le cadran solaire qui seul savait noblement suivre la marche grave et lumineuse des heures immaculées, se fait rare et disparaît de nos jardins. On ne le rencontre plus guère que dans la cour d’honneur, aux terrasses de pierre, sur le mail, aux quinconces de quelque vieille ville, de quelque vieux château, de quelque ancien palais, où ses chiffres dorés, son disque et son style s’effacent sous la main du dieu même dont ils devaient perpétuer le culte. Néanmoins, la Provence, certaines bourgades italiennes sont demeurées fidèles à la céleste horloge. On y voit fréquemment s’épanouir, au pignon ensoleillé de la bastide la plus allègrement délabrée, le cercle peint à la fresque où les rayons mesurent soigneusement leur marche féerique. Et des devises profondes ou naïves, mais toujours significatives par la place qu’elles occupent et la part qu’elles prennent à une énorme vie, s’efforcent de mêler l’âme humaine à d’incompréhensibles phénomènes. « L’heure de la justice ne sonne pas aux cadrans de ce monde », dit l’inscription solaire de l’église de Tourette-sur-Loup, l’extraordinaire petit village presque africain, voisin de ma demeure, et qui semble, parmi l’éboulement des rocs et l’escalade des agaves et des figuiers de Barbarie, une Tolède en miniature, réduite aux os par le soleil. « A lumine motus. » « Je suis mue par la lumière », proclame fièrement une autre horloge rayonnante. « Amyddst ye flowres, I tell ye houres ! » « Je compte les heures parmi les fleurs », répète une antique table de marbre au fond d’un vieux jardin. Mais l’une des plus belles exergues est certes celle que découvrit un jour aux environs de Venise, Hazlitt, un essayiste anglais du commencement de l’autre siècle : « Horas non numero nisi serenas. » « Je ne compte que les heures claires ». « Quel sentiment destructeur des soucis ! Toutes les ombres s’effacent au cadran quand le soleil se voile, et le temps n’est plus qu’un grand vide, à moins que son progrès ne soit marqué par ce qui est joyeux, tandis que tout ce qui n’est pas heureux descend dans l’oubli ! Et la belle parole qui nous apprend à ne compter les heures que par leurs bienfaits, à n’attacher d’importance qu’aux sourires et à négliger les rigueurs du destin, à composer notre existence des moments brillants et amènes, nous tournant toujours vers le côté ensoleillé des choses et laissant passer tout le reste à travers notre imagination oublieuse ou inattentive ! »
Maurice Maeterlinck, L’Intelligence des fleurs/La Mesure des heures
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