A Maynard
Pourquoi se donner tant de peine?
Buvons plutôt à perdre haleine,
De ce nectar délicieux,
Qui, pour l'excellence, précède
Celui même que Ganymède
Verse dans la coupe des dieux.
C'est lui qui fait que les années
Nous durent moins que les journées;
C'est lui qui nous fait rajeunir,
Et qui bannit de nos pensées
Le regret des choses passées
Et la crainte de l'avenir:
Buvons, Maynard, à pleine tasse,
L'âge insensiblement se passe,
Et nous mène à nos derniers jours;
L'on a beau faire des prières,
Les ans, non plus que les rivières,
Jamais ne rebroussent leur cours.
Le printemps, vêtu de verdure,
Chassera bientôt la froidure;
La mer a son flux et reflux;
Mais, depuis que notre jeunesse
Quitte la place à la vieillesse,
Le temps ne la ramène plus.
Les lois de la mort sont fatales
Aussi bien aux maisons royales
Qu'aux taudis couverts de roseaux;
Tous nos jours sont sujets aux Parques;
Ceux des bergers et des monarques
Sont coupés des mêmes ciseaux.
Leurs rigueurs, par qui tout s'efface,
Ravissent, en bien peu d'espace,
Ce qu'on a de mieux établi,
Et bientôt nous mèneront boire,
Au-delà de la rive noire,
Dans les eaux du fleuve d'oubli.
Honorat de Bueil, Senhor de Racan
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