Seul il est digne de mesurer la splendeur des mois verts et dorés. De même que le bonheur profond, il ne parle point. Sur lui, le temps marche en silence, comme il passe en silence sur les sphères de l’espace ; mais l’église du village voisin lui prête par moments sa voix de bronze, et rien n’est harmonieux comme le son de la cloche qui s’accorde au geste muet de son ombre marquant midi dans l’océan d’azur. Il donne un centre et des noms successifs à la béatitude éparse et anonyme. Toute la poésie, toutes les délices des environs, tous les mystères du firmament, toutes les pensées confuses de la futaie qui garde la fraîcheur que lui confia la nuit comme un trésor sacré, toute l’intensité bienheureuse et tremblante des champs de froment, des plaines, des collines livrées sans défense à la dévorante magnificence de la lumière, toute l’indolence du ruisseau qui coule entre ses rives tendres, et le sommeil de l’étang qui se couvre des gouttes de sueur que forment les lentilles d’eau, et la satisfaction de la maison qui ouvre en sa façade blanche ses fenêtres avides d’aspirer l’horizon, et le parfum des fleurs qui se hâtent de finir une journée de beauté embrasée, et les oiseaux qui chantent selon l’ordre des heures pour leur tresser des guirlandes d’allégresse dans le ciel, — tout cela, avec des milliers de choses et des milliers de vies qui ne sont pas visibles, se donne rendez-vous et prend conscience de sa durée autour de ce miroir du temps où le soleil, qui n’est qu’un des rouages de l’immense machine qui subdivise en vain l’éternité, vient marquer d’un rayon complaisant le trajet que la terre, et tout ce qu’elle porte, accomplit chaque jour sur la route des étoiles.
Maurice Maeterlinck, L’Intelligence des fleurs/La Mesure des heures
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