La pendule, le sablier, la clepsydre perdue donnent des heures abstraites, sans forme et sans visage. Ce sont les instruments du temps anémié de nos chambres, du temps esclave et prisonnier ; mais le cadran solaire nous révèle l’ombre réelle et palpitante de l’aile du grand dieu qui plane dans l’azur. Autour du plateau de marbre qui orne la terrasse ou le carrefour des larges avenues et qui s’harmonise si bien aux escaliers majestueux, aux balustrades éployées, aux murailles de verdure des charmilles profondes, nous jouissons de la présence fugitive mais irrécusable des heures radieuses. Qui sut apprendre à les discerner dans l’espace, les verra tour à tour toucher terre et se pencher sur l’autel mystérieux pour faire un sacrifice au dieu que l’homme honore mais ne peut pas connaître. Il les verra s’avancer en robes diverses et changeantes, couronnées de fruits, de fleurs ou de rosée : d’abord celles encore diaphanes et à peine visibles de l’aube ; puis leurs sœurs de midi, ardentes, cruelles, resplendissantes, presque implacables, et enfin les dernières du crépuscule, lentes et somptueuses, que retarde, dans leur marche vers la nuit qui s’approche, l’ombre empourprée des arbres.
Maurice Maeterlinck, L’Intelligence des fleurs/La Mesure des heures
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