Est. June 12th 2009 / Desde 12 de Junho de 2009

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segunda-feira, 19 de julho de 2021

Meditações - il y a une horloge qui sonne les heures

Scène nocturne du 22 avril 1915


Gui chante pour Lou

 

Mon ptit Lou adoré Je voudrais mourir un jour que tu m’aimes

Je voudrais être beau pour que tu m’aimes

Je voudrais être fort pour que tu m’aimes

Je voudrais être jeune jeune pour que tu m’aimes

Je voudrais que la guerre recommençât pour que tu m’aimes

Je voudrais te prendre pour que tu m’aimes

Je voudrais te fesser pour que tu m’aimes

Je voudrais te faire mal pour que tu m’aimes

Je voudrais que nous soyons seuls dans une chambre d’hôtel à Grasse pour que tu m’aimes

Je voudrais que nous soyons seuls dans mon petit bureau près de la terrasse couchés sur le lit

de fumerie pour que tu m’aimes

Je voudrais que tu sois ma sœur pour t’aimer incestueusement

Je voudrais que tu eusses été ma cousine pour qu’on se soit aimés très jeunes

Je voudrais que tu sois mon cheval pour te chevaucher longtemps, longtemps

Je voudrais que tu sois mon coeur pour te sentir toujours en moi.

Je voudrais que tu sois le paradis ou l’enfer selon le lieu où j’aille

Je voudrais que tu sois un petit garçon pour être ton précepteur

Je voudrais que tu sois la nuit pour nous aimer dans les ténèbres

Je voudrais que tu sois ma vie pour être par toi seule

Je voudrais que tu sois un obus boche pour me tuer d’un soudain

amour

 

Lilith et Proserpine (aux enfers)

 

Nous nous aimons sauvagement dans la nuit noire

Victimes de l’ascèse et produits du désespoir

Chauves-souris qui ont leurs anglais comme les femmes

 

Le Petit Lou

 

Faut pas parler comm’ ça, on dit coulichonnette

 

Lilith

 

J’ai créé la mer Rouge contre le désir de l’homme

 

Proserpine

 

J’ai fait sortit de son lit le Léthé

J’en inonde le monde comme d’un hippomane

 

L’oiseau d’éternité du moutier de Heisterbach

 

Je suis l’éternité

Mort belle de la Beauté

Je mords la mirabelle de l’Été

Flambant Phénix de la Charité

Pélican de la prodigalité

Aigle cruel de la Vérité

Rouge-gorge de la sanglante clarté

Corbeau de la sombre bonté

Qu’est devenu le moine hébété

 

La prière

 

Abaissement qui élève

Le maître fut l’élève

Aimer n’être pas aimé

Fumée, belle fumée

 

La joie

 

Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

Je commande et mande

Je nais du mal à Samarcande

Mais il ne faut pas que j’attende

 

Le Remords

 

Toutes deux, appelez-moi votre père

Et l’Art est notre fils multiforme

Je m’ouvre la poitrine, Entrez ! c’est notre demeure

il y a une horloge qui sonne les heures

 

La 45e batterie du 38e

 

Les chevaux hennissent Éteignez les lumières

Les caissons sont chargés Empêchez les hommes de dormir

Entends miauler les tigres volants de la guerre

 

Gui

 

Je pense à toi ma lou et ne pense pas à dormir

 

Le Ptit Lou

 

Je suis dans ton dodo et de loin près de toi

Le monde ou bien Les gens du monde

Mon ptit Lou je veux te reprendre

Oublie tes soldats pour mes fêtes.

 

L’Avenir

 

Lou et Gui et vous Toutou faut que vous voyez tous trois

De merveilleux rivages

Une ville enchantée comme Cordoue

En Andalousie. Les gens simples séduits par votre cœur

Et votre fantaisie

Vous donneront des fleurs, des cannes à sucre

Vous pourrez voir encore plus loin si vous voulez

La nature des tropiques

Une ville blanche; à vingt minutes de la ville un petit pays sur la mer

avec de belles maisons dans des parcs

Vous louerez un palais où de toutes les fenêtres

Lou touchera les palmes avec ses mains

Les chevreaux, les ânes, les mules ravissanres

Comme des femmes

Et aussi expressives quand au regard seront avec vous

 

Gui

 

L’avenir m’intéresse et mon amour surtout

Mais l’art et les artistes futurs ne m’intéressent pas.

À Paris, il y aura la Seine

Et le regard de mon ptit Lou

 

Chœur des jeunes filles mortes en 1913

 

Quand les belles furent au bois

Chacune tenait une rose

Et voilà qu’on revient du bois

N’avons plus rien entre les doigts

 

Et les jeunes gens de naguère

S’en vont ne se retournent pas

Ceux qui nous aimèrent naguère

Emportent la rose à la guerre

 

Ô mort mène-nous dans le bois

Pour retrouver la rose morte

Et le rossignol dans le bois

Chante toujours comme autrefois

 

Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou

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