Est. June 12th 2009 / Desde 12 de Junho de 2009

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domingo, 9 de maio de 2021

Meditações - Auriez-vous la bonté de me dire quelle heure est-il?

Faisant ma promenade quotidienne, chaque jour je passais dans une rue etroite: chaque jour, une jeune fille svelte de dix ans me suivait, a distance, respectueusement, le long de cette rue, en me regardant avec des paupieres sympathiques et curieuses. Elle etait grande pour son age et avait la taille elancee. D'abondants cheveux noirs, separes en deux sur la tete, tombaient en tresses independantes sur des epaules marmoreennes. Un jour, elle me suivait comme de coutume; les bras musculeux d'une femme du peuple la saisit par les cheveux, comme le tourbillon saisit la feuille, appliqua deux gifles brutales sur une joue fiere et muette, et ramena dans la maison cette conscience egaree. En vain, je faisais l'insouciant; elle ne manquait jamais de me poursuivre de sa presence inopportune. Lorsque j'enjambais une autre rue, pour continuer mon chemin, elle s'arretait, faisant un violent effort sur elle-meme, au terme de cette rue etroite, immobile comme la statue du Silence, et ne cessait de regarder devant elle, jusqu'a ce que je disparusse. 

Une fois, cette jeune fille me preceda dans la rue, et emboita le pas devant moi. Si j'allais vite pour la depasser, elle courait presque pour maintenir la distance egale; mais, si je ralentissais le pas, pour qu'il y eut un intervalle de chemin, assez grand entre elle et moi, alors, elle le ralentissait aussi, et y mettait la grace de l'enfance. Arrivee au terme de la rue, elle se retourna lentement, de maniere a me barrer le passage. Je n'eus pas le temps de m'esquiver, et je me trouvai devant sa figure. Elle avait les yeux gonfles et rouges. Je voyais facilement qu'elle voulait me parler, et qu'elle ne savait comment s'y prendre. Devenue subitement pale comme un cadavre, elle me demanda: "Auriez-vous la bonte de me dire quelle heure est-il?" Je lui dis que je ne portais pas de montre, et je m'eloignai rapidement. 

Depuis ce jour, enfant a l'imagination inquiete et precoce, tu n'as plus revu, dans la rue etroite, le jeune homme mysterieux qui battait peniblement, de sa sandale lourde, le pave des carrefours tortueux. L'apparition de cette comete enflammee ne reluira plus, comme un triste sujet de curiosite fanatique, sur la facade de ton observation decue; et, tu penseras souvent, trop souvent, peut-etre toujours, a celui qui ne paraissait pas s'inquieter des maux, ni des biens de la vie presente, et s'en allait au hasard, avec une figure horriblement morte, les cheveux herisses, la demarche chancelante, et les bras nageant aveuglement dans les eaux ironiques de l'ether comme pour y chercher la proie sanglante de l'espoir, ballottee continuellement, a travers les immenses regions de l'espace, par le chasse-neige implacable de la fatalite. Tu ne me verras plus, et je ne te verrai plus!... Qui sait? Peut-etre que cette fille n'etait pas ce qu'elle se montrait. Sous une enveloppe naive, elle cachait peut-etre une immense ruse, le poids de dix-huit annees,et le charme du vice. On a vu des vendeuses d'amour s'expatrier avec gaite des iles Britanniques, et franchir le detroit.

Lautreamont

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