O genebrino Pierre Maillard é Redactor-Chefe da Europa Star, um título fundado pelo pai há mais de 50 anos e que permanece hoje como o mais antigo e um dos mais respeitados no sector relojoeiro.
Pierre, além de jornalista (um opinion maker ouvido sempre com atenção), é igualmente cineasta (conhece bem, muito melhor que Estação Cronográfica, a filmografia portuguesa).
O seu humor e estilo são conhecidos. Trazemos-lhe aqui uma deliciosa crónica que ele dedicou ao ingente problema linguístico que é saber se se deve dizer Chief Executive Officer (CEO) ou Président Directeur Général (PDG).
Chief Executive Officer contre Président Directeur Général. C'est un peu comme Superman contre Superdupont, un combat inégal, remporté haut la main par CEO.Un CEO, c'est fit, c'est moderne, c'est bronzé, ça fait du sport, ça porte des costumes branchés ou même du streetwear, c'est entouré de jolies filles, ça tutoie tout le monde et ça parle anglais avec un accent à l'américaine.
Un PDG, ça fleure bon sa France des notables. Un PDG a un peu de bedaine, des costumes croisés, en hiver ça porte des chaussures à semelle de crêpe, c'est flanqué d'une secrétaire fidèle mais revêche et ça vouvoie tout le monde, y compris le petit apprenti de 15 ans. Et un PDG parle un anglais très approximatif, avec un terrible accent frenchie.
Vous l'aurez remarqué: le PDG est une espèce en voie de disparition. Tous CEO à présent. C'est un peu comme Jacques Tati dans Jour de Fête, qui, fasciné par les exploits aéronautiques de ses confrères américains, ne veut plus être un bête postier français mais se transformer en postman universel. Oui, car derrière ce glissement de l'appellation, insensiblement mais sûrement passée de l'acronyme PDG à celui de CEO, c'est bien d'un glissement "civilisationnel" dont il s'agit. Dans un monde globalisé ou en voie – chaotique – de l'être, un PDG ça fait provincial tandis qu'un CEO ça sonne global.
Plus profondément, le passage du vocable PDG à celui de CEO, marque un changement profond de culture à l'intérieur de l'entreprise, le passage de la culture latine de la responsabilité générale, une notion un peu vague, certes, à celle anglo-saxonne de l'accountability, un mot qui, et ce n'est pas un hasard, n'a pas de strict équivalent français mais que l'on pourrait traduire par "responsabilité comptable". Une responsabilité donc mesurable et chiffrable. A sa manière, le glissement sémantique de PDG à CEO signe ainsi la financiarisation progressive de l'entreprise. Il va de pair avec l'adoption de nouveaux standards comptables, sous l'égide de l'International Accounting Standards Board (IAS) qui font passer d'une comptabilité essentiellement juridique et fiscale à "un langage pour investisseurs".
A la notion traditionnelle de compte de résultat, qui représente l'exploitation, on privilégie désormais le bilan, qui représente le potentiel de l'entreprise. Paradoxalement, cette nouvelle "transparence" comptable, permettant aux investisseurs d'agir plus rapidement, favorise le court terme alors que la culture précédente, plus prudente, plus tournée vers les acquis que vers les acquisitions, était de ce fait plus orientée sur le long terme. Bref, la disparition des PDG au profit des CEO n'est pas qu'un effet de mode mais témoigne du fait que des transformations bien plus profondes sont à l'oeuvre, visibles par exemple dans l'actuelle lutte entre les tenants du service public, culturellement rétifs à l'accountability car tout ne saurait se mesurer comptablement, à ceux de la privatisation pour qui c'est la ligne des résultats qui compte.
Il n'empêche que, dans la foule grossissante des CEO, et l'horlogerie en abonde, il y a CEO et CEO. Certains, appartenant à de grands groupes mondialisés, le sont de fait, Chief Executive Officer, et cumulent même parfois le titre supplémentaire de Chairman. Ils "rapportent" (tiens-donc, un autre emprunt à la culture comptable anglo-saxonne, "to report to") aux scrupuleux services centraux qui entourent le CEO des CEO, l'actionnaire de référence, leur patron. Ces CEO sont comptables de leurs performances et de leur bilan, ils sont assis sur des sièges éjectables dotés de parachutes dorés, ils sont là pour faire du chiffre. D'autres, qui arborent tout aussi fièrement sur leur carte de visite les trois lettres magiques CEO, ne sont qu'à la tête d'eux-mêmes. Le soir, après avoir couché les gosses, ils bricolent leur livre de compte sur la table de la cuisine et envoient des SMS à leurs fournisseurs qui sont en retard. Faire du chiffre, ils aimeraient bien, mais ce n'est pas si simple que ça. Surtout par les temps qui courent. Alors en attendant, ils vont boire un coup avec leurs copains du village, entre CEO.
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