sábado, 9 de novembro de 2024

Meditações - Novembre se précise

Les Fièvres


La plaine, au loin, est uniforme et morne

Et l’étendue est veule et grise

Et Novembre qui se précise

Bat l’infini, d’une aile grise.

 

De village en village, un vent moisi

Appose aux champs sa flétrissure ;

L’air est moite ; le sol, ainsi

Que pourriture et bouffissure.

 

Sous leurs torchis qui se lézardent,

Les chaumières, là-bas, regardent

Comme des bêtes qui ont peur,

Et seuls les grands oiseaux d’espace

Jettent sur les chaumes et leur frayeur,

Le cri des angoisses qui passent.

 

L’heure est venue où les soirs mous

Pèsent sur les terres envenimées

Où les marais visqueux et blancs,

Dans leurs remous,

À longs bras lents.

Brassent les fièvres empoisonnées.

 

Sur les étangs en plates-bandes

Les fleurs, comme des glandes,

Et les mousses comme des viandes,

S’étendent.

 

Bosses et creux et stigmates d’ulcères,

Quelques saules bordent les anses,

Où des flottilles de viscères,

À la surface, se balancent,

Parfois, comme un hoquet,

Un flot pâteux mine la rive

Et la glaise, comme un paquet,

Tombe dans l’eau de bile et de salive.

 

L’étang s’apaise, qui remuait ses rides,

Les crapauds noirs, à fleur de boue,

Gonflent leur peau et leur gadoue.

Et la lune monstrueuse préside :

Telle l’hostie

De l’inertie.

 

De la vase profonde et jaune

D’où s’érigent, longues d’une aune,

Les herbes d’eaux et les roseaux,

Des brouillards lents comme des traînes,

Déplient leur flottement, parmi les draines ;

On les peut suivre, à travers champs,

Vers les chaumes et les murs blancs ;

Leurs fils subtils de pestilence

Tissent la robe de silence,

Gaze verte, tuile blême,

Avec laquelle, au loin, la fièvre se promène.

 

La fièvre,

Elle est celle qui marche,

Sournoisement, courbée en arche,

Et personne n’entend son pas.

Si la poterne des fermes ne s’ouvre pas,

Si la fenêtre est close,

Elle pénètre quand même et se repose,

Sur la chaise des vieux que les ans ploient,

Dans les berceaux où les petits larmoient

Et quelquefois elle se couche

Aux lits profonds où l’on fait souche.

Avec ses vieilles mains dans l’âtre encor rougeâtre,

Elle attise les maladies

Non éteintes, quoique engourdies ;

Elle se mêle au pain qu’on mange

À l’eau morne changée en fange ;

Elle monte jusqu’aux greniers,

Dort dans les sacs et les paniers

Et, comme une impalpable cendre,

Sans rien voir, on sent d’elle la mort descendre.

Inutiles, vœux et pèlerinages

Et seins où l’on abrite les petits

Et bras en croix vers les images

Des bons anges et des vieux Christs.

Le mal have s’est installé dans la demeure.

Il vient, chaque vesprée, à tel moment

Déchiqueter la plainte et le tourment,

Au régulier tic-tac de l’heure ;

Les mendiants n’arrivent plus souvent

À la porte ni à l’auvent

Prier qu’on les gare du froid,

Les moineaux francs quittent le toit,

Et l’horloge surgit déjà

Celle, debout, qui sonnera,

Après la voix éteinte et la raison finie,

L’agonie.

 

En attendant, les mois se passent à languir.

Les malades rapetissés

Leurs habits lourds, leurs bras cassés,

Avec, en main, leurs chapelets,

Quittant leur lit, s’y recouchant,

Fuyant la mort et la cherchant,

Bégaient et vacillent leurs plaintes,

Pauvres lumières, presque éteintes.

 

Ils se traînent de chaumière en chaumière

Et d’âtre en âtre,

Se voir et doucement s’apitoyer

Sur la dîme d’hommes qu’il faut payer,

Atrocement à leur terre marâtre ;

Des silences profonds coupent les litanies

De leurs misères infinies ;

Et, longuement, parfois, ils se regardent

Au jour douteux de la fenêtre,

Et longuement, avec des pleurs,

Comme s’ils voulaient se reconnaître

Lorsque leurs yeux seront ailleurs.

 

Ils se sentent de trop autour des tables

Où l’on mange rapidement

Un repas pauvre et lamentable ;

Leur cœur se serre atrocement,

On les isole et les bêtes les flairent

Et les jurons et les colères

Volent autour de leur tourment.

 

Aussi, lorsque la nuit, ne dormant pas,

Ils s’agitent entre leurs draps,

Songeant qu’aux alentours, de village en village,

Les brouillards blancs sont en voyage,

Voudraient-ils ouvrir la porte

Pour que d’un coup la fièvre les emporte,

Vers les étangs en plates-bandes

Où les plantes comme des glandes

Et les mousses comme des viandes

S’étendent,

Où s’écoute, comme un hoquet,

Va flot pâteux minant la rive

Où leur corps mort, comme un paquet,

Choirait dans l’eau de bile et de salive.

 

Mais la lune, là-bas, préside,

Telle l’hostie

De l’inertie.

 

Emile Verhaeren, Les Campagnes hallucinées

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