Thomasina, héroïne de la pièce de Tom Stoppard, « Arcadia », explique à son tuteur : « Si tu pouvais immobiliser chaque atome dans sa position et direction, et si ton esprit pouvait appréhender toutes les actions ainsi suspendues, puis si tu étais vraiment très, très doué en algébre, tu pourrais écrire la formule pour la totalité du futur ; et bien qu’il n’y ait personne d’assez intelligent pour pouvoir réaliser ça, la formule doit exister comme si quelqu’un le pouvait.»
J’avais coutume de penser que mon boulot de physicien théoricien était de trouver cette formule ; je conçois aujourd’hui cette foi en son existence comme du mysticisme plus que comme de la science.
Eut-il écrit pour un personnage moderne, Stoppard aurait fait dire à Thomasina que l’univers est pareil à un ordinateur. Les lois de la physique sont le programme. Quand vous entrez une donnée – les positions à l’instant présent de toutes les particules élémentaires dans l’univers – l’ordinateur mouline pendant une durée appropriée et vous pond le résultat, qui est l’ensemble des positions des particules éléementaires à un instant futur.
Dans cette vision de la nature, rien ne se produit hors du réarrangement des particules selon des lois éternelles. Donc, d’après ces lois, le futur est déjà complètement déterminé par le présent et le présent par le passé.
Cette vision minimise le rôle du temps de plusieurs façons. Il ne peut y avoir aucune surprise, aucun phénomène vraiment nouveau, parce que tout ce qui survient n’est que réarrangement d’atomes. Les propriétés des atomes eux-mêmes sont éternelles, tout comme les lois qui les gouvernent ; elles ne changent pas. Toute propriété du monde à venir est calculable à partir de la configuration du présent. Autrement dit, on peut substituer à l’écoulement du temps un simple calcul, ce qui signifie que le futur est logiquement enfanté par le présent. (…)
Il s’ensuit du grand principe de Leibniz qu’il ne peut pas exister de temps absolu qui fasse tic tac aveuglément quoiqu’il arrive dans le monde. Le temps doit être une conséquence du changement ; sans altération dans le monde, il ne peut y avoir de temps. Les philosophes disent que le temps est relationnel – il est un aspect des relations, par exemple la causalité, qui gouvernent le changement. Similairement, l’espace doit être relationnel ; en effet, chaque propriété d’un objet dans la nature doit être un reflet des relations dynamiques entre lui et d’autres objets dans le monde. (…)
Chercher à unifier la physique et, particulièrement, à rassembler la théorie quantique et la relativité au sein d’un unique cadre revient principalement à achever la révolution relationnelle en physique. Le principal message de ce livre est que cela passe par l’adoption des idées que le temps est réel et que les lois évoluent.
Lee Smolin
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