A partir de Newton, (...) le cours du temps se reconstruit à l’aide de l’équation différentielle et des conditions initiales données ou supposées, mais c’est un temps neutre, sans qualité, sans "odeur", sans accident, sans vécu circonstancié ou subjectif, qui signale l’équivalence de tous les instants du temps, comme de tous les points des trajectoires. (...) Le temps abstrait fonctionne dès lors comme un cadre absolu pour les événements, "absolu et mathématique" (entendons : d’expression mathématique), bien que physique, sans influence sur lui des objets et des phénomènes qui s’inscrivent dans son cours. Les objets et les événements sont pensés "dans le temps". (...) ce trait de notre connaissance des phénomènes de la nature semblait inexorable, jusqu’à ce que - scandale ! -, la physique physique contemporaine en vienne à retrouver, sinon l’histoire, du moins une certaine "consistance" du temps. (...) Isaac Barrow, qui exerça une certaine influence sur Newton, (...) considère, dans ses "Leçons de géométrie", le flux du temps en analogie à la continuité d’une ligne droite engendrée à partir de points, et laisse entendre que l’on peut concevoir des instants, ou "moments" du temps, bien que ce dernier soit pensé fondamentalement comme une durée en flux continu - conception que l’on trouve également chez Newton -, de même que l’on se représente des points sur une droite. Le temps instantané, dont la définition se cherche ici, pose les mêmes problèmes que la nature du point et la divisibilité de la ligne et de l’espace, objet depuis Zénon d’Elée de controverses classiques. (...) C’est à Isaac Newton que devait revenir la construction du temps instantané à partir du temps conçu comme une durée, en corrélation à l’invention du nouveau calcul, créé en grande partie pour les besoins de la cause, bien que les "Principia" ne fassent pratiquement pas explicitement appel à sa théorie ou méthode des fluxions. (...) La définition du temps de Newton (...) a surtout pour rôle de préparer la condition d’une formulation plus radicale du concept de temps, sous les espèces d’une grandeur mathématisée, singulière et à variation continue, c’est-à-dire différentielle. (...) C’est ainsi qu’il caractérise le temps de la manière que l’on connaît : "Le temps absolu, vrai et mathématique, qui est sans relation à quoi que ce soit d’extérieur, en lui-même et de par sa nature, coule uniformément ; on l’appelle aussi "durée". Remarquons que c’est la durée qui définit d’abord le temps, c’est-à-dire son flux continuel, et non les instants, qui ne sont pas mentionnés. (...) La relation du temps absolu telle que Newton la conçoit a lieu dans un seul sens : le temps détermine les phénomènes, non l’inverse, car il existe par lui-même, et son ordre est immuable. Par ailleurs, sa conceptualisation d’un temps et d’un espace supposés naturels est, en vérité, une construction. Le statut absolu de l’espace et du temps est lié à leur caractère mathématique, qui en fait aussi des grandeurs continues. (...) L’espace-temps de la Relativité restreinte reprend certains caractères de la définition newtonienne de l’espace et du temps. Tout d’abord la continuité. Que ces grandeurs soient continues, cela tient à ce que, même si elles sont étroitement mêlées, elles sont pensées à partir de l’espace et du temps des corps, représentés par des grandeurs différentielles. (...) Abordons maintenant la construction de l’espace-temps de la Relativité générale et sa signification physique. (...) cette fois-ci, l’espace-temps n’est plus considéré comme indépendant des corps matériels qu’il contient. Sa structure n’est plus immuable et elle est donnée par la distribution de la masse-énergie des corps, c’est-à-dire des champs de gravitation dont ces corps sont la source.
Michel Paty
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