La Paix des neiges
Au fond du cabinet de soie,
Dans le pavillon de l’étang,
Pi-pi, po-po ! Le feu flamboie.
L’horloge dit : Ko-tang, ko-tang !
Au dehors, la neige est fleurie,
Et le long des sentiers étroits,
Le vent, qui souffle avec furie,
Disperse au loin ses bouquets froids.
Sous le givre qui les pénètre,
Les noirs corbeaux, en manteau blanc,
Frappent du bec à ma fenêtre,
Qu’empourpre le foyer brûlant.
Le soleil est pâle et sans force.
Du vieux poirier qui semble mort
Aucun bourgeon ne fend l’écorce,
Pointu comme une dent qui mord.
Seul le sorbier rouge, qu’assiége
Plus d’un loriot en passant,
Fait pleuvoir ses grains sur la neige ;
On dirait des gouttes de sang.
Mais, au dos de ma tasse pleine,
Je vois s’épanouir encor
Dans leur jardin de porcelaine,
Des marguerites au cœur d’or.
Parmi les fraîches impostures
Des vermillons et des orpins,
Sur le ciel verni des tentures
Voltigent des papillons peints.
Et mille souvenirs fidèles
Sortant du fond de leur passé,
Comme de blanches hirondelles,
Rasent tout bas mon seuil glacé.
La paix descend sur toute chose.
Sans amour, sans haine et sans dieu,
Mon esprit calme se repose
Dans l’équilibre du milieu.
Loin de moi ces ardeurs jalouses
Des envieux dont le fiel bout !
J’ai dans ma maison deux épouses,
L’une assise, l’autre debout.
Et, très-fort en littérature,
J’ai gagné, s’il faut parler net,
Quatre rubis à ma ceinture,
Un bouton d’or à mon bonnet.
Cependant la nuit, qui s’allonge
Mystérieuse à l’horizon,
Dans le filet fleuri d’un songe
Prend mon âme comme un poisson.
Et pour voir ce pays des sages
Où les grands vieillards sont cachés,
Je suis, sur le courant des âges,
La feuille rose des pêchers.
Mon œil se clôt, mon cœur se noie
Aux hasards du rêve inconstant.
Pi-pi, po-po ! Le feu flamboie.
L’horloge dit : Ko-tang, ko-tang !
Louis Bouilhet, Dernières chansons
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